Wagner à l'ère électronique ...


“La Walkyrie”, la deuxième partie de l’opéra de Wagner “l’Anneau du Nibelung”, adaptée pour la télévision par Frank et Koen Theys, nous est proposé ce soir sur Télé 21.

Frank et Koen Theys sont deux artistes flamands qui ont choisi de s’exprimer par la sculpture et la vidéo. Apparemment aux antipodes, ces deux médias, l’un matériel et l’autre immatériel, se combinent pour les frères Theys dans des installations qui mettent en scène l’écran vidéo ou dans un travail particulier de l’image électronique elle-même qui, par jeu d’incrustations, est comme projetée dans une hypothétique troisième dimension.

L’incrustation est l’élément de base de leur dernière vidéo “La Walkyrie”, qui confronte dans un même espace plusieurs images et les découpe en “fenêtres” ou en “panneaux” qui donnent accès à des niveaux de réalités ou de matérialités différents.

“La Walkyrie” est la deuxième partie de l’adaptation vidéo réalisée par les frères Theys de l’opéra de Wagner, L’Anneau du Nibelung. Cet opéra est lui-même un enchevêtrement de personnages mi-dieux, mi-hommes, qui s’affrontent pour retrouver la pureté originelle incarnée par l’or du Rhin. C’est cet affrontement que Frank et Koen Theys parviennent à restituer en utilisant les ressources de la technique électronique et en ajoutant à l’enchevêtrement des personnages, auxquels correspondent chez Wagner des leitmotive musicaux, un enchevêtrement d’images, de décors, d’objets et de leitmotive visuels.

Mais l’adaptation de l’opéra de Wagner en vidéo ne s’arrête pas là. Pour les frères Theys, le thème même de l’opéra de Wagner, qui est celui de la perte du sacré et de la lente érosion des mythes, concerne de près la télévision.

En fait, la télévision serait l’aboutissement d’un processus qui a commencé au moment où les Grecs ont “vulgarisé” l’image de leurs dieux en les reproduisant sur de pièces de monnaie. Depuis lors, les média’s n’auraient cessé de niveler les valeurs, de placer l’homme au centre de tout et de perdre irrémédiatement la dimension rituelle qui procurait l’émotion et créait le spectacle.

“A la fin du ‘Ring’ de Wagner, on se rend compte, dit Koen Theys, que le matérialisme l’a emporté. L’argent a exaspéré et détruit le sacré. Comme à la télévision, les enjeux commercieux sont tels que la périphérie prend la place du centre. Le public devient l’élément principal. On le mesure, on le sonde : audience, taux d’écoute, cotes de satisfaction, … Du coup, l’énergie poétique du centre, de la scène, se volatilise et le spectateur se retrouve face à lui-même. C’est cela aussi la perte de l’or du Rhin.”

Vision apocalyptique d’une humanité désormais en vase clos? Ou espoir malgré tout que la télévision parvienne à retrouver la magie du spectacle et à faire autre chose que de la “rediffusion”? Une question que se posait déjà Wagner à propos de l’opéra. Une question parfaitement relayée et actualisée par les frères Theys.

La suite au petit écran …


Eric de Moffarts - LA LIBRE BELGIQUE
19.10.1989

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