Wagner sur vidéo


(Quelques considérations sur la bande “Chants de mes Champs” (1))

La vidéo est une interprétation du “Ring des Nibelungen” et de “Parsifal” de Richard Wagner. Notre intention est de confronter Wagner et la télévision. Nous avons tenté d’adapter nos images à la construction musicale de ces opéras en utilisant des effets spéciaux.

Les images ont été réalisées au départ de plusieurs enrégistrements, de manière à créer un environnement artificiel dans lequel se mouvent les acteurs. Nous n’avons eu recours à aucun arrière-plan réel. Le décor, les accessoires et les acteurs sont ainsi manipulés de la même manière, certains effets ou enregistrements particuliers sont utilisés une seconde fois, renvoyant le spectateur à la première apparition, de sorte qu’une structure narrative se dégage petit à petit, comme dans les leitmotives de Wagner.

Notre interprétation télévisée n’est donc pas un calque d’une vision théatrale. Nous avons fait en sorte que l’événement se passe sur l’écran même.

Jusqu’à présent, toutes les théories que l’on a essayé de développer sur la manière idéale de filmer la Tetralogie reposaient en fin de compte sur sa présentation théatrale. Or, Wagner a régulièrement exprimé son insatisfaction à l’égard de celle-ci. Il rêvait de découvrir le théâtre invisible, après l’orchestre invisible. Il reprochait au théâtre son caractère statique. Déjà avant le “Ring” il avait déplacé l’accent vers la musique.

Le public pouvait se perdre dans la musique, et c’est précisément ce que le théâtre devait montrer; mais son caractère statique produisait l’effet inverse. Dans “Parsifal”, Wagner lui-même a tenté d’y porter remède, et je me plais a tracer un parallèle entre la solution qu’il a trouvée et la vidéo. Par exemple, il n’y a pas de baisser de rideau lorsque l’on passe de l’extérieur à l’intérieur du château du Graal; le chateau fort commence à se métamorphoser petit à petit, son intérieur devenant extérieur.

La perception de cet opéra, néanmoins, est tout autre. Alors qu’il était parvenu, dans le “Ring”, à ce que le public se perde dans l’événement, dans “Parsifal” il reprend ses distances. La chasteté qu’il professe dans cette opéra représente cette distance, et rien d’autre. “Parsifal” est un opéra complètement refermé sur lui-même, mais qui tente tout de même de raconter quelque chose sur lui-même. Le contact ne se situe plus au niveau des sens, mais au niveau de l’esprit. La musique elle-même n’établit plus le contact entre le public et le théâtre, mais elle est, à côté du théâtre, le deuxième facteur à nous informer sur la condition de l’opéra: “Les Français Claudel, Debussy et Boulez l’ont compris, et un simple coup d’oeil à la partition le confirme: dans “Parsifal”, le passé, le présent et le futur sont si intimement liés qu’en fait, la compréhension de chacun des instants de l’action n’est pas possible que si l’on connaît aussi le passé, le présent et le futur. On doit donc, à chaque moment du drame, rendre présent l’ensemble du drame, le connaître par coeur en quelque sorte, si l’on ne veut pas être perdu – comme le plupart le sont” (2).

Tout comme Parsifal lui-même : la première fois que le Graal est découvert, il en reste tout interdit; le seconde fois, il le découvre lui-même.

De cette manière, Wagner peut plaider pour une forme d’art qui peut et doit être jouée plusieurs fois.

Je pense enfin que notre approche de la Tétralogie devra d’avantage être envisagée du point de vue de Parsifal. Un média, qui s’adresse directement au public, ne permet pas à celui-ci de s’y immerger, surtout lorsque ce média est réduit à une surface plane. Il n’est non plus possible de laisser errer son regard sur une image de 30 cm. sur 40 cm.

Je pense néanmoins que la manière don’t nous avons porté le “Ring” à l’écran est encore la plus fidèle à Wagner. Un opéra qui, en effet, avait été conçu, à l’origine, pour être joué une seule fois.


(1) Traduction libre du néerlandais : “Lied van mijn Land”.
(2) Joachim Kaiser, dans la préface de “Die Musikdramen de R. Wagner” DTV, München, 3° édition 1983.


Frank Theys – DES ARTS
mars 1987

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